Est-ce qu’on peut vraiment tenir à la fois la casquette de réalisateur et celle de chef opérateur ? La réponse courte : oui.
Mais comme souvent en vidéo, ça dépend du contexte. Du projet. Et de ce qu’on vient y chercher.
Moi, j’alterne entre les deux.
Parfois même sur le même film.
Pas par orgueil ou pour tout contrôler.
Simplement parce que j’aime ça.
J’aime raconter une histoire dans son ensemble.
Et j’aime quand la lumière dit ce que les mots ne peuvent pas.

Deux rôles, deux sensibilités, un seul but : raconter
Dans l’idéal, le réalisateur imagine. Le chef op met en image.
Mais dans la vraie vie, les choses sont plus poreuses que ça.
Quand je réalise, je pense souvent à la lumière, aux cadres, aux mouvements de caméra.
Et quand je suis chef op, je m’imprègne du fond, du rythme, de la narration globale.
Je ne peux pas cloisonner ces deux approches. Elles se nourrissent l’une l’autre.
Il m’est arrivé de réaliser des films entiers où j’assumais aussi la caméra.
Parce que le projet le permettait. Parce que le client me faisait confiance.
Et aussi parce que ça permettait de rester léger, efficace, concentré.
Mais j’ai aussi été chef op sur des films réalisés par d’autres.
Et là, mon rôle était d’être au service de leur vision.
D’écouter, d’interpréter, d’amplifier leur intention avec l’image.
C’est tout aussi enrichissant. Surtout quand la collaboration est saine.

Des exemples qui montrent que c’est possible
Jessica Lee Gagné, directrice de la photographie sur la série Severance, a récemment franchi un cap : elle a réalisé plusieurs épisodes de la saison 2.
Et franchement, ce n’est pas une surprise. Son travail sur la première saison allait déjà bien au-delà de la lumière ou du cadre.
Elle posait un ton, un rythme, une esthétique narrative.
Son passage à la réal, c’est la suite logique d’un regard qui a toujours été habité par l’histoire.


À l’inverse, des réals comme Zack Snyder tiennent souvent eux-mêmes la caméra. Il cadre. Il compose. Il éclaire.
On aime ou on n’aime pas ses films, mais sa maîtrise visuelle est indiscutable. Il ne délègue pas ce qui, pour lui, fait partie intégrante de sa narration.
Greig Fraser (Dune, The Batman) aussi, même en tant que chef op, construit un langage visuel qui va au-delà de la simple “jolie image”. Il pense mise en scène. Il pense émotion.
Tout ça pour dire qu’au plus haut niveau aussi, la frontière est floue. Et c’est tant mieux. Ça prouve que les métiers du cinéma ne sont pas des cases figées, mais des espaces vivants.

Mais ça demande de savoir où on met les pieds
Attention, hein. Jongler entre ces deux rôles, ce n’est pas toujours une bonne idée.
Il y a des risques. Et des moments où il vaut mieux choisir.
Quand tu réalises et que tu tiens la caméra, tu peux manquer de recul.
Tu peux rater des choses, ou ne pas voir que l’acteur n’est pas complètement dans le ton.
Tu peux aussi vouloir trop en faire, t’épuiser, perdre le lien avec ton équipe.
Il m’est arrivé de me dire “là, j’aurais dû prendre un chef op”.
Parce que la lumière m’a échappé. Ou parce que je passais trop de temps les yeux collés à l’écran au lieu d’être en lien avec mon sujet.
Inversement, en tant que chef op, il faut accepter de ne pas tout décider.
De proposer sans imposer. D’être au service d’une vision qui n’est pas la tienne.
Mais c’est aussi ça que j’aime dans cette alternance.
Quand tu changes de casquette, tu changes de posture.
Tu vois comment fonctionne l’autre. Tu apprends. Tu progresses.
Aujourd’hui, je choisis en fonction du projet.
Certains films me parlent tellement que j’ai envie de tout porter, de l’idée jusqu’à la dernière coupe.
D’autres, au contraire, me donnent envie de me concentrer uniquement sur la lumière, le cadre, la sensation.
C’est une question d’équilibre. De lucidité. Et parfois, d’énergie disponible.

En conclusion
Réalisateur ou chef op, ce sont deux rôles exigeants.
Mais quand on les pratique en conscience, l’un enrichit l’autre.
Alterner entre les deux m’a aidé à affiner mon regard.
À mieux comprendre ce qui fait un bon cadre, mais aussi une bonne narration.
À collaborer plus finement avec les équipes.
Et surtout, à ne jamais perdre de vue pourquoi je fais ce métier : pour raconter quelque chose qui touche, qui résonne, qui reste.
Alors oui, on peut jongler entre ces deux casquettes.
À condition de ne pas chercher à tout contrôler.
À condition d’écouter, de s’adapter, de rester curieux.